Oradour : interview de Jean-François Miniac

Ecrit par McR le 31 mai 2024

La bande dessinée « Oradour, L’Innocence assassinée » est parue aux éditions Anspach le 24 mai dernier. Labellisé par la Mission Libération du ministère des Armées, cet ouvrage relate le massacre du 10 juin 1944 perpétré par la division SS Das Reich dans le bourg de Haute-Vienne.

L’idée d’une bande dessinée, initiée par le rescapé Robert Hébras, est portée sur le papier par Jean-François Miniac au scénario et Bruno Marivain au dessin. Entretien avec Jean-François Miniac, propos recueillis par François Macquaire.

 

De gauche à droite : Bruno Marivain, Robert Hébras et Jean-François Miniac

Comment est née l’idée de cette bande dessinée ?

J.-F. Miniac : Cet album de BD historienne a été un projet documentaire de longue haleine. Dès 2018, Robert Hébras avait évoqué cette perspective éditoriale à son association, OHVR, puis en 2020, Philippe Grandcoing, l’un des membres, qui romancier et historien, m’a transmis ce souhait éditorial émanant de Robert.

 

Pourquoi ce désir de Robert Hébras ?

J.-F. Miniac : Pour Robert, la bande dessinée était un média qui s’adresse prioritairement à la jeunesse, ce qui est à tempérer de nos jours. Robert était de cette génération du premier âge d’or de la BD. Lui-même était passionné de BD : dès l’âge de 11 ans, il présidait un club de lecture à Oradour, celui du célèbre magazine Benjamin, comme l’a découvert Nicolas Anspach, notre éditeur. Depuis plusieurs décennies, Robert a transcendé son statut de rescapé pour incarner le devoir de mémoire, au nom des siens, puis pour devenir un figure de la réconciliation franco-allemande. C’est donc pour perpétuer cette mémoire auprès de nouvelles générations que Robert a songé à la bande dessinée.

 

Pour autant, votre album n’est pas un biopic ?

J.-F. Miniac : Du tout. En deux mots, c’est un album sur la tragédie d’Oradour fait avec et pour Robert Hébras. Et non un album focalisé sur Robert, son destin extraordinaire. Naturellement, notre bande dessinée met en scène ce dernier témoin. Avant tout, elle raconte son parcours personnel à l’été 44 comme celui d’autres rescapés, ceux de la grange Laudy, de Roger Godfrin, de Marguerite Rouffanche, unique rescapée de l’église, de Camille Senon encore, ultime témoin de l’épisode du tramway qui conclut le massacre au soir du 10 juin. Nous avons pris le parti d’un récit choral. Robert avait en effet à cœur de relater les faits pour sa communauté, celle des gens d’Oradour. Au nom de tous les miens, pour paraphraser Martin Gray.

 

Quelques mots sur votre récit ?

J.-F. Miniac : Narration à hauteur d’homme, notre album relate la tragédie avec minutie et respect, à savoir la journée du 10 juin bien entendu, mais aussi les jours en amont et en aval du jour fatidique. Dans la première mouture du scénario, le récit équivalait à 200 planches, multipliant notamment d’autres points de vue de la tragédie, puis nous avons choisi de le condenser en 78 planches, ce qui augmente la tension narrative vers la tragédie dans la tragédie, l’inique destin des femmes et des enfants. Plutôt que de trop brièvement survoler plusieurs décennies, et notamment d’aborder le procès de Bordeaux en quelques planches, j’ai préféré répondre à la question du comment dans le récit BD, et celle du pourquoi naturellement, toujours factuellement. Justement, le cahier pédagogique qui succède à la BD répond à la nécessité d’élargir la focale pour contextualiser le fait historique, notamment sa phase postérieure.

 

Comment avez-vous procédé pour vous documenter ?

J.-F. Miniac : Lorsque Philippe Grandcoing m’a contacté en 2020, je me suis d’emblée plongé dans une masse de sources documentaires, communiquées par un trio d’historiens limougeauds et la documentation de Robert même. Le récit a été finement modulé par les historiens, puis, en décembre 2021, adoubé par un collège d’institutionnels comprenant Benoit Sadry, le président de l’Association Nationale des Familles des Martyrs d’Oradour-sur-Glane, dont le regard historique est d’une acuité chirurgicale.

 

Vous vous êtes rendu sur place ?

J.-F. Miniac : Un impératif pour cette véracité de la BD. Je me suis rendu de nombreuses fois à Oradour-sur-Glane que je connaissais pour avoir visité le village ruiné à l’âge de dix-sept ans au retour de vacances cévenoles. Tutoyer ainsi la guerre fut marquant, être physiquement enveloppé par ces ruines reste ancré en soi, comme pour des millions de visiteurs. Lors de mon premier retour à Oradour en 2021, je me suis prioritairement rendu au cimetière. Par respect. Puis le lendemain matin, un samedi au soleil de plomb comme celui du fatidique 10 juin 1944, j’ai parcouru une portion du trajet effectué par le colonel SS responsable du crime de guerre. Partant de la gare de Saint-Junien jusqu’au village martyr, j’ai aussi fixé sur la pellicule les divers lieux ponctuant ce parcours. A bien réfléchir, je suis entré pas à pas dans Oradour même. Lors de cette seconde visite, le vieux village d’Oradour m’est apparu sous un angle plus familier. Du fait de l’avancée du scénario, j’avais l’impression de mettre mes pas dans ceux de personnes dont certaines m’étaient devenues familières.

 

Dont Robert Hébras ?

J.-F. Miniac : Robert, en premier lieu, rencontré plusieurs fois au fil de la mission. Et aussi deux autres Radounauds aux âges vénérables, Camille Senon et Louis Laplagne à la mémoire si vive.

 

Vous y avez effectué une recension photographique ?

J.-F. Miniac : Durant la première semaine passée sur Oradour, j’ai finalement dû prendre quelque 2 000 photos, de tous les lieux possiblement cités dans l’album, en pensant notamment aux axes de vue des diverses cases envisagées. Chaque lieu représenté dans les images de la bande dessinée est absolument authentique, jusqu’aux moindres hameaux par lesquels passent les rescapés par exemple.

 

Le témoignage de M. Hébras vous a aidé pour cette reconstitution graphique ?

J.-F. Miniac : Son témoignage a été précieux, capital même car unique. Avec Camille Senon, 99 ans le 5 juin 2024, Robert était le dernier à pouvoir témoigner avec précision de l’ancien Oradour. Il existe très peu de documentation iconographique sur ce qu’était Oradour avant sa destruction, seulement une vingtaine de cartes postales dont une seule représente un intérieur, celui d’une forge. Figurer les intérieurs par le dessin a été un challenge particulier, notamment l’église, le café du Chêne et d’autres lieux hors album, un challenge relevé par la seule grâce du témoignage de Robert. Nous discutions à bâtons rompus sous la houlette de Bernadette, puis, au fil, je fixais ses descriptions sur le papier pour établir des plans de masse, des mises en perspective.

 

Verser dans le sensationnel était un écueil, je suppose ?

J.-F. Miniac : Mon choix a été de jeter un voile pudique sur tout ce qui relève du voyeurisme morbide, ne serait-ce que, prioritairement, par respect envers les martyrs et leurs familles. De surcroît, d’un point de vue narratif, cela relève d’une facilité malsaine. Naturellement, cette élusion d’images choquantes n’a pas pour fondement une volonté de négation du crime. Notre récit ambitionne de s’adresser également à de jeunes adolescents, largement. Sa vocation pédagogique est une volonté de Robert, notre boussole.

 

En quoi ce choix de gris colorés participe-t-il du récit ?

J.-F. Miniac : Il est en adéquation avec la sobriété du scénario, l’esprit du récit, jamais dans l’emphase, ni l’ostentatoire. Les couleurs, ça n’était pas initialement mon choix personnel. Habituellement, je suis de près la colorisation mais, en l’espèce, j’ai laissé le champ libre au dessinateur pour son suivi, ayant suffisamment enquiquiné Bruno sur la mise en scène, comme des détails de son dessin. Les tons gris et sépia, c’est initialement un choix de l’éditeur, Nicolas, auquel Bruno a adhéré. Et ce choix fonctionne bien, ce d’autant que le trait est de facto davantage valorisé par ces gammes en demi-teintes.

 

Somme toute, un regret sans doute ?

J.-F. Miniac : Oui, bien entendu, celui que Robert, disparu en février 2023, ne puisse voir aujourd’hui l’aboutissement de son projet. Par bonheur, le 17 mai dernier à Limoges, nous avons eu la chance de remettre l’album à Camille, le sentiment du devoir accompli. Malgré tout. Car, « à Oradour, tout est compliqué » comme il est d’usage de dire. Très compliqué.

 

Oradour, L’innocence assassinée, est un ouvrage d’une extrême puissance, pour plusieurs raisons :

Elle retrace la violence de la guerre en témoignant d’une inhumanité exacerbée d’une part, et elle permet de conserver une trace indélébile qui fait écho à la situation mondiale actuelle.

Dans le cadre des 80 ans de la Libération, l’œuvre de Jean-François Miniac et de Bruno Marivain est un repère historique inégalé.



En bref

Un one-shot
Une BD de : Jean-François Miniac et Bruno Marivain
Édition : Anspach


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McR

McR a est un homme barbu mais pas méchant. Il a connu la préhistoire, et grâce à un accélérateur de particules, il a pu rejoindre la communauté.

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